En chair et en os !

Publié le par Lady D.

   Souvenez-vous... En 1958, le Ramsey Lewis Trio change radicalement de style. Adieu le swing de chambre raffiné à la Modern Jazz Quartet : Ramsey et ses acolytes (le contrebassiste Eldee Young et le batteur Red Holt) se lâchent, et le résultat est ébouriffant. Pour notre plus grand bonheur, ils vont poursuivre dans la même voie, et produire disque après disque d'un jazz qui ne se prend pas la tête, poussés par un seul mot d'ordre : faut qu'ça swingue !
   Un tel groupe, ça ne donne sa pleine mesure qu'en public. Et ça tombe bien : Ramsey Lewis Trio in Person 1960-1967 (Chess GRD2-814) ne contient que des plages enregistrées en public. Vingt-huit plages, pour être précis. Car, un bonheur ne venant jamais seul, ce Chess-ci est un double CD...

   Tout commence au «Blue Note» de Chicago, en avril 1960. Six standards increvables, dont un «Bei Mir Bist du Schoen» qui met en valeur le jeu de contrebasse explosif d'Eldee Young, petit bonhomme (guère plus d'un mètre cinquante, si l'on en croit Ramsey) habité d'une vitalité et d'une joie de jouer évidentes. Suit un délicieux «I'll Remember April», avec là encore une ligne de basse tout simplement merveilleuse de drive et d'intelligence harmonique -- le tout boosté par les relances incessantes de Red Holt. Disons qu'en 1960, le Ramsey Lewis Trio est un trio piano/basse/batterie parmi tant d'autres, excellent bien sûr, mais... la concurrence est rude ! Difficile de venir bousculer Oscar Peterson, Red Garland ou Ahmad Jamal sur ce terrain...

   Quatre ans plus tard, changement d'atmosphère. La mode n'est plus aux standards de Broadway. Les Beatles, les Rolling Stones ont envahi l'Amérique. La soul music s'est imposée. Les jeunes blancs des États-Unis découvrent le blues par l'intermédiaire des reprises amenées par les groupes rock britanniques... Quand il se produit aux «Bohemian Caverns» de Washington, D.C., en juin 1964, le trio a suivi la tendance générale.
   Un seul standard de la vieille époque ici : «Fly Me to the Moon». Les trois autres plages ? «My Babe», le hit de l'harmoniciste Little Walter, un original de Ramsey, «The Caves», et «Something You Got», un morceau du répertoire de la pop music noire de l'époque, que le public blanc commence tout juste à découvrir. Un set explosif ! Écoutez plutôt le solo survitaminé d'Eldee Young sur «My Babe», ici au violoncelle ; cette interprétation magnifique de «Fly Me to the Moon» ; les stop chorus de «The Caves», blues low down and dirty à souhait... Que du bonheur !

   Retour aux «Bohemian Caverns» en mai 1965 ; la tendance s'affirme. Deux purs joyaux dans ces cinq plages : le «Come Sunday» d'Ellington, et le «Since I Fell for You» de Buddy Johnson, deux ballades superlatives, merveilleuses de sensibilité et de musicalité, portées par le jeu de balais de Red Holt et la sonorité pleine et chantante d'Eldee Young. Mais l'évènement est ailleurs...
   L'évènement, c'est «The "In" Crowd». Le tube du moment, à la sauce Ramsey Lewis Trio. Et la sauce prend ! Voilà nos trois lascars propulsés au rang de pop stars, l'espace de quelques mois. Et pourtant, pas besoin de décortiquer ce morceau pour s'apercevoir qu'ils ont fait mieux, beaucoup mieux même, sur un plan strictement musical du moins. «The "In" Crowd» est un morceau du genre simpliste, bâti sur trois accords et, honnêtement, l'impro de Ramsey n'a rien de transcendant. Mais... la magie est ailleurs. Un rythme façon boogaloo, type rouleau compresseur, qui écrase tout sur son passage, la basse impériale, impérieuse d'Eldee, l'interaction avec un public ravi, une ambiance de folie perceptible même sur CD... Autant d'éléments que l'on retrouve d'ailleurs sur «You've Been Talking About Me, Baby». Là encore, que du bonheur !

   Cinq mois plus tard, au «Lighthouse» d'Hermosa Beach, on refuse du monde. 1.500 amateurs attendent dans la rue que se libèrent quelques unes des 150 places du club... en vain. Le Ramsey Lewis Trio est sur scène.
   Là encore, quelques vieux standards : «Satin Doll», bouncy à souhait ; «The More I See You», une ballade parfaite en tous points ; le pêchu «He's a Real Gone Guy». S'y ajoute le virevoltant «Movin' Easy», valse jazz fortement teintée de blues due à Ramsey. Les trois autres plages surfent sur les tendances musicales du moment. Deux morceaux des Beatles : «A Hard Day's Night» et «And I Love Her», sur un doux tempo de samba absolument délicieux. Et «Hang on Sloopy», le tube des McCoys. Là aussi, le public est ravi, assurant les choeurs sur les deux succès du moment. Ramsey se souvient : l'une de ses amies lui avait dit, «"Ramsey, vous devriez jouer ce morceau, les gars. Ha-n-ng on Sloopy !" Je lui ai répondu, "Eh bien, je ne sais pas trop..." Mais Dieu bénisse Red Holt. Je lui ai parlé du morceau et il m'a dit que nous pourrions au moins essayer. Quand nous l'avons joué au Lighthouse, nous avons été soufflés. C'était comme des choeurs, qui montaient du bar et des tables autour de la scène. Red a commencé à chanter et à diriger les spectateurs. Tout le monde dans le club s'est levé et s'est mis à chanter "Hang on Sloopy"».
   A votre avis, quels titres finiront repectivement onzième et vingt-neuvième des charts pop en 1966 ? Gagné. «Hang on Sloopy» et «Hard Day's Night». Mais... le public commence à se lasser du Ramsey Lewis Trio et de sa «party-music», en même temps d'ailleurs que naissent quelques conflits entre les membres du trio. En février 1966, l'annonce est officielle : le Ramsey Lewis Trio se sépare... Ramsey mettra plus tard cette séparation sur le compte des cachets astronomiques qu'ils touchent tout à coup. Les 1.000 dollars par semaine ont été multipliés par vingt, depuis «The "In" Crowd»...
   Ramsey Lewis remplace Eldee Young par Cleveland Eaton, futur membre du Count Basie Orchestra, et Red Holt par Maurice White, futur fondateur d'Earth Wind & Fire... et l'aventure continue. En juillet 1967, le Ramsey Lewis Trio nouvelle formule s'installe au «Basin Street West» de San Francisco.
  
La première des six plages sacrifie aux tendances du moment : une reprise boogaloo et churchy à souhait du «Dancing in the Street» de Martha and the Vandella's. Le reste du programme est plus jazz, avec un détour par la bossa qui fait fureur dans les années soixante, et dont Ramsey fut l'un des premiers interprètes. Le «Django» en écoute ces derniers jours, «You Don't Know Me», popularisé par Ray Charles, «What Now my Love», «Corcovado» et un «Black Orpheus Medley». Maurice White fait preuve d'une légèreté qui faisait souvent défaut à Red Holt, le jeu élastique de Cleveland Eaton est de ceux qui portent un soliste vers des sommets de swing, mais... les deux nouveaux partenaires de jeu de Ramsey ne dégagent pas la même fougue, la même puissance que leurs prédécesseurs. Personne ne l'aurait pu, d'ailleurs. N'en reste pas moins que ce trio-ci est intrinsèquement très écoutable...

   Choisir un morceau eut été impossible. En choisir deux s'est avéré très difficile. Aussi, il n'est pas impossible que les morceaux en écoute changent au cours de l'été. Repassez par cette page, on ne sait jamais...

 

 

 

 

 
«Fly Me to the Moon» - Ramsey Lewis (p) Eldee Young (b) Red Holt (dm) - Enregistré les 4 et 6 juin 1964 aux «Bohemian Caverns», Washington, D.C.

 

 

 


«The "In" Crowd» - Même personnel - Enregistré du 13 au 15 mai 1965, même lieu.

Publié dans disques de chevet

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N
<br /> Tiens un poussierothèque bouffeur de marguerites ogmisées.<br /> <br /> <br /> <br />
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P
<br /> Si meudame Css pouvait remettre le module recherche je serais pas obligé de tenter d'embrocher une 12aine de liens de bas de page avec une marguerite riche en ogm déficients. Merci<br /> pour lui. Comme moi on m'a remis au travail, pas sur que ça gueule pas si tout le monde en refait pas autants soit dit en passant. Dans ce domaine je n'aime guère l'exclusivité.<br /> <br /> <br />
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L
<br /> C'est po dans le css le module Recherche, spice d'inculte <br /> Je le remets, mais c'est bien parce que c'est toi (euh... je sais, tu as failli attendre, huhu) mais pour ce qui est de me remettre au travail, hum... on verra, on verra...<br /> <br /> <br />
B
Oooooooh mais ouiiiiiiiiii... J'aime le jazz moi, j'adoooore Norah Jones d'ailleurs!!
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L
Bon, tu fais comme tu veux, hein ! Mais le Ramsey récent...
B
C'est super chouette tout ça!<br /> Encore des noms à noter... Comment veux-tu que je fasse??!<br /> Bisous ma Lady!
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L
Ben... Tu prends un papier et un stylo...Et sous le nom de Ramsey Lewis, tu ajoutes «Éviter sa production d'après 1971», à moins que tu apprécies la disco-soul et l'easy listening jazz FM creux et insipide...
:
Serais-tu une frileuse ?Bisous Danet.
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L
Pas particulièrement, non... et même pas du tout ! Mais la neige, ça ne me tente vraiment pas ! Deux trois flocons pour faire joli et se lancer dans une petite bataille de boules de neige, d'accord. Mais pas plus !