The Mad Genius of the Violin
Vous savez quoi ?
Je tente une expérience dont ceux qui l'ont tentée avant moi ne sont pas ressortis indemnes. J'écoute Stuff Smith - Dizzy Gillespie - Oscar Peterson (Verve 521 676-2) d'une seule traite. Oui, au fait : il y a deux CDs dans la boî-boîte. Deux heures, trente-deux minutes et quarante-neuf secondes de Stuff Smith, non-stop. Vous avouerez qu'il faut oser... D'ailleurs, le premier CD n'est pas encore fini que déjà je ne me sens pas très bien...
Il y en aurait à dire, sur Stuff Smith. Sur ses excentricités (il lui arrivait de jouer à l'Onyx Club, dans les années 30, avec un singe perché sur l'épaule) ; sur sa vie tout sauf rangée qui le fit atterrir à l'hôpital à Paris, au début de 1967 - il avait une maladie du foie, et les chirurgiens découvrirent, abasourdis, que Stuff avait un foie de la taille d'un petit pois. Ils le rangèrent dans la catégorie des curiosités médicales et décrétèrent, après l'opération, qu'il était dans un état critique.
Mais le lendemain, Stuff était sur pied, à jouer du violon aux infirmières entre deux propositions malhonnêtes ! Il quitta l'hôpital quelques jours plus tard - pour retourner à Bruxelles honorer la fin d'un engagement. Il allait décéder sur scène, en septembre de la même année.
D'un point de vue strictement musical, que dire ? Que Stuff Smith a révolutionné le violon, rien moins que ça. Jetées aux orties, les conceptions classiques (auxquelles un Eddie South ou un Grappelli, ses contemporains, restaient malgré tout fermement accrochés). Faut qu'ça swingue ! Et pour swinguer, ça swingue. Avec une urgence, une inventivité, une précision, une maîtrise jamais égalées. Du brut de décoffrage. Même sur les ballades, d'ailleurs. Il y a toujours cette sonorité grenue, ce sens de la surprise harmonique, ce glissando vertigineux qui vient zébrer la phrase avant qu'elle verse dans la sensiblerie...
Stuff Smith - Dizzy Gillespie - Oscar Peterson regroupe en fait trois séances, toutes trois de 1957. Sur la première, Stuff s'ébat en compagnie du pianiste Carl Perkins, du bassiste Red Callender et du batteur Oscar Bradley ; un bon trio rythmique, dans le genre West Coast. Pour la seconde, attention, on sort la grosse machine à swing : le trio d'époque d'Oscar Peterson (Captain Ray à la basse et Herb Ellis à la guitare), augmenté du batteur Alvin Stoller. Et pour la troisième... Stuff dialogue avec rien moins que Sa Majesté Dizzy - qui est venu avec les deux tiers de sa rythmique de l'époque, à savoir le pianiste Wynton Kelly et le bassiste Paul West, auxquels s'adjoint le swinguantissime batteur J.C. Heard...
Mais, j'écris, j'écris... Il serait peut-être temps de penser à vous choisir un autre extrait... aussi, je commence à me sentir toute bizarre, moi... Un peu comme ça, tenez :
Oui, au fait : si vous n'avez pas lu les comms, le morceau-mystère de la semaine était «Soft Winds», et provenait de la seconde séance, celle avec le trio d'Oscar Peterson. Quelle surprise, n'est-ce pas ?
«It's Only a Paper Moon» - Stuff Smith (vln) Dizzy Gillespie (tp) Wynton Kelly (p) Paul West (b) J.C. Heard (dm) - Enregistré le 17 avril 1957 à New-York.