Les hommes de Duke, Trois
Quand la dépendance de Gonsalves posait un problème, Ellington avait une solution bien personnelle. Le photographe Ted Williams, qui prenait quelques clichés pendant une séance d'enregistrement de l'orchestre d'Ellington, assista à la scène suivante :
«L'orchestre fit plusieurs prises du même morceau, mais Paul Gonsalves se plantait à chaque fois. Duke, qui était dans la cabine d'enregistrement, alluma le haut-parleur et dit : «Paul Gonsalves. On te demande au téléphone, dans le hall.» Gonsalves sortit du studio et Duke dit aux autres musiciens : «Fermez la porte à clé !» Il lança le morceau, et la prise fut la bonne.»
Duke adorait la compagnie des femmes, et avait en réserve quelques compliments visant à les séduire. Il leur disait :
«Je sais que vous êtes un ange. Je peux voir le reflet de votre auréole sur le plafond.»
Ou encore : «Mon Dieu, mais que vous rendez cette robe délicieuse !»
Quand il repérait une femme à laquelle il n'avait pas encore été présenté, il demandait généralement :
«Whose little girl are you?» : «De qui êtes-vous la fillette ?»
Il dispensait automatiquement ses compliments suaves à toutes les femmes qui se trouvaient en sa présence, et avait généralement du succès.
L'orchestre de Duke fit un jour une tournée avec Louis Armstrong. La chanteuse de Louis, à l'époque, était Big Maybelle, la chanteuse de blues, dont les proportions physiques correspondaient parfaitement à son nom. Harold Baker raconte que la première fois que Duke rencontra Big Maybelle, en coulisse, il eut son réflexe habituel : il leva les sourcils, lui lança son plus beau sourire et chuchota :
«Eh bien ! Et, whose little girl are you ?»
Maybelle, indignée, lui rétorqua, de sa voix de stentor :
«Qu'est-ce que tu racontes comme conneries ? Whose little girl am I ?»
L'orchestre entier faillit mourir de rire, tandis que Duke s'éloignait avec élégance pour aller bavarder avec quelqu'un d'autre.