10, rue des Islettes, au fond de la cour
Le «Studio des Islettes»... «This funny, funky little joint», comme disait Sunny...
C'était un petit coin de jazz en plein dix-huitième, à deux pas de Barbès. Un local un peu foutraque, avec ses chaises de récup', ses deux ou trois fauteuils défoncés, son comptoir d'aggloméré et son piano capricieux. Le seul piano qui slappe, ai-je dit un soir. Sur certaines touches, on entendait le mécanisme à peu près autant que les notes !
Au début, je veux dire, à mes débuts aux Islettes, vers 98, il y avait même un piano à queue. Un Pleyel. Qui encombrait la scène sans que personne en joue jamais. Le type de piano qu'un courant d'air suffit à désaccorder... et ce n'est pas moi qui le disais ; c'est Patrick, le gérant des lieux.
«Des Islettes», comme le nommaient Sunny, Sonny et les autres, avait une histoire. Une belle histoire. Cette petite salle de répétitions, créée en 1980, était passée une dizaine d'années plus tard sous la direction de Mra Oma, qui en avait fait un lieu de concerts. «Des Islettes», c'était le seul lieu à Paris où trois soirées par semaine étaient entièrement dévolues aux jam-sessions. «Des Islettes», c'était à peu près le seul lieu à Paris où l'on pouvait entendre Sunny Murray, Sonny Simmons, George Brown et Arthur Doyle. «Des Islettes», c'était le seul lieu à Paris où l'on pouvait passer une soirée à écouter du jazz sans se ruiner. Bien sûr, il fallait aller chercher vous-même votre Coca ou votre Gaillac au comptoir, bien sûr, il ne vous était pas servi dans un verre en cristal, mais dans un gobelet en plastique.
A «Des Islettes», si vous demandiez un verre d'eau, Patrick allait remplir votre gobelet à l'évier, dans la petite pièce, derrière le comptoir. D'ailleurs, ce n'était pas de l'eau. C'était du «Château Tibéri». J'en ai connu les crus 1998, 1999, 2000 et 2001...
A «Des Islettes», si les «changes» d'un standard vous échappaient soudain, vous aviez toutes les chances de pouvoir les retrouver sur les pages détachées du «Fake Book» qui tapissaient les toilettes, et où une main anonyme avait inscrit les paroles d'Armstrong. «Folk music ? Every music is folk music. I mean, you've never heard a horse play music».
A «Des Islettes», j'ai entendu des musiques que je n'aurais jamais entendues ailleurs. Je me souviens en particulier de ce groupe composé de deux trompettes, un sax, un trombone, un soubassophone et une batterie, qui revisitaient façon funk à la James Brown tout ce qui leur tombait sous la main, de Mingus à Sun Ra ! Et, c'était incroyablement malin, bien pensé, bien joué...
A «Des Islettes», j'ai assisté à un atelier batterie, avec Sunny dans le rôle du professeur. Il avait trois élèves, l'un d'eux était George Brown, très discipliné pour une fois.
A «Des Islettes», j'ai vu et entendu tant de belles choses... Comment décrire la magie de ce lieu ? Il fallait le connaître.
Mais, c'est trop tard. Le «Studio des Islettes» n'est plus. Voilà presqu'un an déjà que le nouveau propriétaire de l'immeuble y a mis bon ordre, malgré les subventions et les autorisations. Pas de ça chez moi. Allez jouer ailleurs. Alors, l'association cherche un nouveau local. Où en sont-ils ? Aucune idée. J'ai eu beau chercher, ce matin, je n'ai rien trouvé.
Si : j'ai trouvé quelque chose. Un site, avec un texte magnifique sur Oliver Johnson. Un site à voir, absolument : http://musiciansmoments.blogspot.com/ ; qui a fait remonter à ma mémoire d'autres si beaux moments...
Mais, ceci est une autre histoire !